Canton est la grande ville du Sud de la Chine. Proche de Hong-Kong elle a été la première à bénéficier de la politique d'ouverture à l'économie de marché. La réputation tenace de Canton comme une ville sale et dangereuse est fausse, la région de Canton vise même à devenir la Silicon Valley de Chine.

Pour mes derniers week-end avant la péremption de mon visa, j’ai décidé de combler mes lacunes sur les villes de la région du Guangdong, celle ou je suis domiciliée et que j’ai pour le moment bouder, à tort ou à raison. J’ai pourtant pas mal voyagé lors de mon stage, Zhuhai, Guangzhou deux fois, Foshan, Xiamen, Yongding, Shenzhen, Manille, Tagaytay mais ce n’était pas vraiment dans une optique découverte (sauf au Fujian, rubrique Xiamen et Minorités Hakka) mais plutôt soit pour le compte de mon entreprise, soit pour aller voir Myriam. J’ai donc rétabli les choses ce week-end en prenant le temps de découvrir Guangzhou, appelé en Français Canton.

Il faut savoir qu’en Chine, Guangzhou a une mauvaise réputation, à peu près équivalente de Marseille en France. La comparaison se justifie d’autant plus que ce sont deux villes du Sud tournées vers le monde extérieur et avec une identité forte. Quelle est cette réputation ? Canton serait sale, Canton serait dangereuse, Canton serait trop rebelle, etc. La première fois que je suis venu à Canton, c’était l’année dernière venant de Hong Kong. J’habitais alors à Shanghai et mes amis Chinois m’avait tous mis en garde : attention à tes affaires, attention le soir, Canton est très dangereux. J’avais même entendu, ne te promène pas en tong à Canton, c’est très sale par terre et tu pourrais attraper des maladies par les pieds… Bref le tableau que l’on m’avait peint était plutôt sombre. Donc arrivé de Hong Kong pour prendre un train direction Sanya sur Hainan, je n’avais eu le temps de connaître Canton que par sa gare de train… puis de bus car il n’y avait pas eu de train disponible. Au crépuscule, des flots ininterrompus de population arrivaient, de plus en plus nombreux sur le parvis de la gare, et je me demandais d’où pouvait venir tous ces gens. D’autres dormaient par terre en attendant leur train. Finalement, le quartier n’était pas des plus agréable mais pas du tout dangereux. De plus ça ne sentait pas (trop) et les rues n’étaient pas si sales. Ainsi, déjà le mythe de Canton le Naples de Chine tombait !

En effet, avec Pékin et Shanghai, Canton est une ville performante, connue dans le monde entier. Et c’est plutôt une impression de réussite, de puissance, de développement qui caractérise Canton, qui est finalement une des villes les plus propres de Chine que j’ai connu. Shanghai et surtout Pékin ont à rougir de la comparaison tant la vie semble agréable ici. Des buildings immenses, flambants neufs surchargent l’horizon de Canton, une nouvelle tour est en construction, son architecture des plus avant-gardistes va témoigner de la place de la ville en Chine et dans le monde. Le métro, qui compte 4 lignes pour le moment, est d’une efficacité tout autant surprenante. Du Sud Ouest au Nord Est de la ville, les temps de trajet sont ridicules. Même au niveau de la population, elle est déjà beaucoup plus « fashion » qu’ailleurs, avec des Chinois bodybuildés, des demoiselles à la pointe du style, même les personnes plus âgées ne crachent pas beaucoup par terre, ou ne relèvent pas leur t-shirt quand il fait trop chaud. A voir comme un point positif ou négatif n’est pas l’objet de mon propos, par contre cela permet de voir le niveau de développement économique de la ville.

Il y a bien une réputation que l’on a pu vérifier, il y a un peu de vrai dans les mises en garde des Shanghaiens : les cantonais sont rebelles. Effectivement, ils le sont mais pas de la manière que je l’entendais. Déjà politiquement, Canton s’est toujours considérée comme libérée de l’astreinte du pouvoir central, et a toujours eu un œil tourné vers l’extérieur (commercialement et culturellement) même pendant les heures les plus sombres de la révolution culturelle de Mao. Grace à la proximité avec Hong Kong, les cantonais (au sens général d’habitants de la région du Guangdong)  ont pu recevoir les fréquences radios de la colonie anglaise, ce qui les a profondément marqué… et peut etre mieux préparés à l’ouverture de Deng Xiao Ping en 1978. En effet, il est à noter que cette région est la plus riche de Chine, la plus développée, et est en train de muer d’une manière décisive :

J’ai eu la chance (ou pas) d’assister au discours du gouverneur provincial le mois dernier, et après qu’il nous ait exposé les réussites chiffrées de sa région, qui il faut le reconnaître sont assez extraordinaire dans un monde en pleine crise économique, a expliqué les mesures que le gouvernement de la province va mettre en place. Et là je fus tout à fait étonné, la région est en train de préparer sa mue, d’usine du monde à cerveau du monde. Avec des investissements massifs (et on parle de la Chine, donc en terme de massif…) dans la recherche et le développement de nouvelles technologies, l’accueil des centres des multinationales, la relocalisation des usines polluantes ou à faible valeur ajoutée vers le Nord de la région, développement des infrastructures (un train aérien est en train de se construire sous mes fenêtres qui reliera Zhuhai à Guangzhou en passant par Zhongshan). Mais le plus impressionnant furent les mesures envers les campagnes. C’est la mise en place d’un Etat providence : financement des soins médicaux, ouverture d’hôpitaux dans chaque bourg, scolarisation soutenue des enfants de paysans, aide aux familles les plus pauvres, assistance à l’accroissement de la production agricole avec des subventions à l’achat de matériel performant, etc. Le discours de ce gouverneur m’a pour le moins impressionné, non pas que je gobe tout ce qu’un officiel du parti communiste chinois raconte devant un parterre d’entrepreneurs (et futurs entrepreneurs) étrangers, mais c’est que tout cela était chiffré, daté, avec des mesures d’évaluation… bref face à un Etat qui lui aussi mue vers une modernité que la France et l’Europe peinent à finir.

Après cette parenthèse, on peut comprendre déjà mon choc entre ma vie à Chengdu et celle à Zhuhai, entre une pauvreté intermédiaire et un développement frénétique piloté avec efficacité. Cette nouvelle puissance mondiale qu’est la région du Guangdong se ressent en tout cas partout dans Guangzhou, building, métro, centres commerciaux, etc. (Ce n’est pas un hasard si le nombre de millionnaires cantonais est tout à fait surprenant).

Malheureusement, il y a aussi des points un peu plus noirs pour cette région rebelle. Le plu surprenant pour moi fut surtout celui de la langue. En effet, on m’avait dit que les cantonais ne parlent pas mandarin (le Chinois que j’apprends), mais jusqu’à maintenant je ne remarquais pas la différence et j’étais même vraiment impressionné par quelle facilité ils passaient du Pu Tong Hua (le nom du Chinois mandarin en Chinois 普通话) au Yue Yu (un des noms du cantonais en Chinois 粤语 ou  plus génériquement langue du Guangdong, Guang Dong Hua 广东话). D’autant plus qu’il faut rajouter à la maîtrise de cette langue, la maîtrise d’un patois local, spécifique à la ville, que ce soit Zhuhai, Guangzhou, Chaozhou, etc. Cela fait donc 3 langues parlées comme une langue maternelle, cela a de quoi me laisser perplexe avec mon Français, mon Anglais bancal, mon Italien que j’ai mis dans un carton et mon Chinois n’en parlons même pas… Finalement à Guangzhou, j’ai rencontré des Chinois qui ne parlaient pas mieux Chinois que moi et qui fut incapable de poursuivre la discussion me demandant de continuer en Anglais !!! Elle me confia que c’est parfois un problème pour elle et ses amis qui ne parlent pas bien le putonghua de trouver un travail car c’est une nécessité de communiquer en Mandarin hors du Guangdong.

Canton est aussi réputé pour une autre raison… Ici on mange tout ce qui a des pattes, sauf les tables et tout ce qui vole, sauf les avions. Ce dicton populaire se vérifie dans le marché de Qing Ping, au Sud Ouest de la ville. Malheureusement je suis arrivé trop tard pour le visiter car il est la meilleure expression de l’amour des cantonais pour tout ce qui est « bizarre » à manger. Depuis que je suis arrivé ici, j’ai pu expérimenté (j’avoue que je fais un effort pour « tout goûter ») le crapaud, le requin (bof d’ailleurs, la consistance est vraiment bizarre et c’est pour cela pourtant qu’il est apprécié), la larve de mer, le coquillage bizarre, le cerveau de poisson aux piments rouge (du Hunan et non du Gangdong), la tortue, les crevettes qui ressemblent à des monstres marins, etc. Le Chien ? Le Serpent ? Le Chat ? Non j’ai malheureusement pas encore la chance de gouter au chien, qui « se mange en hiver car il tient chaud » (réponse d’un restaurateur quand je lui demande un chien, tout à fait normale comme question visiblement), mais il ajouta, j’ai de beaux serpents, je peux vous les amener pour vérifier la qualité ! Non merci, je ne suis pas trop fan du serpent, encore moins de le voir… du Chat ? Non désolé pas en ce moment monsieur… De la tortue alors ? A ca oui, mais par contre nos tortues les plus petites font déjà 1,3 kg ce qui est beaucoup pour deux, et puis c’est plus cher… Ah oui combien ? 80 rmb la tortue (8€ à deux…)! Ah oui effectivement c’est cher (ou pas)… c’est pas grave amenez nous une tortue… Ok, je vous conseille ce plat pour manger la tortue, c’est un peu pimenté mais c’est excellent… Ok… Finalement la tortue est un plat délicieux, cela ressemble un peu à du poulet, ou du lapin mais en beaucoup plus raffiné…

Une dernière attraction à Canton est l’île de Shamian (沙面), attention à bien prononcer le Sha de Shamian « shaaaa » parce que sinon les gens ne comprennent pas… J’en ai fait l’expérience au guichet du métro (oui oui je ne connaissais pas encore le ton de Sha): « un ticket pour huangsha (黄沙) » ! Ou ca ?? Huangsha… Ou ca ? Huaaangsha… Ou ça ? Huangsha !... Huangshaaa… Aaaaah !! Huangshaaa, ok ok 5 rmb ! Avec 4 tons possibles sur chacune des deux syllabes, j’aurais pu avoir moins de chance et peut être j’aurais eu à dire les 15 formes possibles de huangsha avant de dire le bon…

L’île de Shamian est une relique du passé colonial de Canton, lorsque les européens dans leur furie d’expansion capitalistique à la fin du XIXe ont commis des atrocités dans le monde entier et notamment en Chine. La Chine qui depuis accuse les occidentaux de l’avoir affaibli avec les guerres de l’opium et l’ouverture de ses ports aux bateaux étrangers. Shamian est donc une petite île au Sud Ouest de Canton que les européens, surtout Français et Anglais ont utilise comme port pour leur commerce dans la région du delta de la rivière des perles. Majoritairement interdite aux voitures, c’est un havre de paix et de tranquillité autour de bâtiments au style occidental et à la végétation luxuriante. Les personnes âgées y font leur tai qi ou leur gym, ils jouent aux échecs (chinois bien sur) et discutent ensemble. Cet endroit à l’écart de la densité de population de Canton, est à mon goût bien plus intéressante que Gulangyu (à Xiamen) autre île colonisée par les occidentaux en Chine, surtout par cet aspect relaxant…